Le Plan d’Action européen pour le socle européen des droits sociaux – des progrès constants pour le travail de Care non rémunéré

14.04.21

La pandémie a mis en lumière le travail le plus précieux, mais invisible et sous-évalué : le travail de "care". Sans lui, nos sociétés seraient paralysées. Ce sont les soignants du monde entier qui ont été en première ligne de la crise sanitaire. La plupart d'entre eux sont des femmes qui prennent des risques en s'occupant de malades et des personnes âgées. Ces femmes jonglent entre leur travail et leurs responsabilités familiales (souvent au détriment de leur travail rémunéré). Ce sont elles qui ont été le plus durement touchées par les retombées sociales et économiques du Covid-19. Dans ce contexte, le Plan d'Action ne pouvait tomber mieux.

La proposition de la Commission Européenne porte sur les trois principaux domaines du socle:

  • Compétences et égalité,
  • Emplois plus nombreux et de meilleure qualité
  • Protection et inclusion sociales.

Selon le dernier Eurobaromètre1, pour la majorité des personnes interrogées, la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales est en tête des priorités. Make Mothers Matter pense que pour parvenir à l’inclusion sociale et à la justice sociale, l’UE doit développer une mise en œuvre complète des 20 piliers.

Depuis la proclamation du pilier social en 2017, MMM demande des engagements forts pour protéger les mères et les familles. En particulier, nous avons plaidé pour la réduction, la reconnaissance et la redistribution du travail de care non rémunéré, en soulignant avec persistance qu’il est à l’origine des écarts entre les sexes (en matière d’emploi, de salaire, de retraite, etc.).

Travail de care non rémunéré

Make Mothers Matter se félicite de l’adoption du Plan d’Action du Socle Européen des Droits Sociaux. Nous sommes ravis de constater qu’une attention particulière a été accordée à l’écart persistant entre l’emploi et les salaires des hommes et des femmes et à l’une de ses causes sous-jacentes : le travail de care non rémunéré. Les responsabilités familiales, qui incombent en grande partie aux femmes, sont reconnues comme un obstacle à l’entrée et au maintien dans la population active et comme une cause des écarts de rémunération et de pension.

Dans notre réponse (en anglais) à la consultation publique sur le Socle Européen des Droits Sociaux, nous avons réitéré l’importance de réduire, de reconnaître et de redistribuer le travail de care non rémunéré afin de combler les écarts entre les sexes et nous avons fait des suggestions sur la manière d’y parvenir.

Cela implique des mesures telles que l’octroi de droits à la pension pour les interruptions de carrière liées au care, des mesures d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée permettant aux parents de concilier travail et vie privée et la mise en œuvre de politiques encourageant directement les pères à prendre des congés.

Par conséquent, nous applaudissons le projet de la Commission Européenne de recenser les meilleures pratiques en matière d’octroi de droits à la pension pour les interruptions de carrière liées au care dans les régimes de pension et de promouvoir l’échange de pratiques entre les États membres, les partenaires sociaux et les parties prenantes des pensions.

Nous sommes également encouragés de voir que la Commission Européenne va promouvoir le partage égal des responsabilités de care et de travail, conformément à la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Cette dernière prévoit le droit de demander des conditions de travail flexibles pour les parents d’enfants jusqu’à l’âge de 12 ans et les personnes ayant des responsabilités de garde. MMM souhaiterait que ces droits soient étendus aux parents d’enfants jusqu’à 18 ans. Nous regrettons qu’il ne soit pas prévu de réviser la directive sur le congé de maternité et d’étendre la période de congé à au moins 20 semaines rémunérées, ce que le MMM a préconisé.

Enfin, nous approuvons que la Commission Européenne reconnaisse l’importance du niveau et de la conception des prestations parentales, ainsi que la possibilité de partager le congé de manière égale entre les hommes et les femmes pour réduire les écarts d’emploi et de rémunération entre les sexes. La mise en place de mécanismes permettant d’évaluer et de contrôler la transposition de la directive WLB est bienvenue.

L’apprentissage tout au long de la vie

Le deuxième objectif du Plan d’Action, qui vise à faire participer au moins 60 % des adultes à une formation chaque année met l’accent sur l’établissement de bases solides grâce à un investissement dans l’éducation et la formation initiales des jeunes. Toutefois, aussi indiscutable que soit l’importance de cet investissement, le temps est le principal obstacle qui empêche les hommes et les femmes de s’engager dans l’apprentissage tout au long de la vie, selon l’EIGE.

En moyenne, 40 % des femmes de l’UE qui ont rencontré des obstacles pour participer à des activités d’éducation et de formation n’ont pu le faire en raison de leurs responsabilités familiales. Comme le rapporte l’EIGE, « les femmes déclarent systématiquement qu’elles ne peuvent pas participer à l’apprentissage tout au long de la vie en raison de leurs responsabilités familiales. »

Par conséquent, nous regrettons que les synergies et conflits potentiels entre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et une plus grande participation à l’apprentissage tout au long de la vie n’aient pas été pris en considération. En tenant compte des responsabilités familiales que les parents doivent assumer, ils devraient pouvoir bénéficier de parcours flexibles de formation, de perfectionnement et de reconversion. L’accès à l’apprentissage tout au long de la vie devrait être facilité, en particulier pour les parents, car cela faciliterait leur retour sur le marché du travail après une interruption de carrière due à des responsabilités familiales. En outre, l’accent devrait être mis sur la qualité de l’emploi.

La parentalité est une expérience d’apprentissage qui permet aux parents d’acquérir des compétences non techniques qui contribuent à l’inclusion sociale, au développement personnel, à l’autonomisation et à l’employabilité. La reconnaissance et la validation de ce nouvel ensemble de compétences acquises par l’apprentissage non formel et informel nécessiteraient une approche de l’éducation fondée sur le cycle de vie, qui n’est pas proposée dans le présent Plan d’Action.

Soins de santé

Le droit à la santé repose sur les éléments fondamentaux que sont :

  • la disponibilité,
  • l’accessibilité, l’acceptabilité
  • la qualité2.

Cependant, l’accès aux soins de santé maternelle reste un défi pour de nombreuses femmes. Les populations rurales, les personnes âgées, les moins mobiles et les personnes vulnérables, y compris les femmes enceintes rencontrent des difficultés pour accéder aux soins de santé dans au moins la moitié des États membres. À ce titre, nous saluons le plan de la Commission Européenne qui propose de nouveaux outils pour mieux mesurer les obstacles et les lacunes dans l’accès aux soins de santé.

Cependant, des pratiques irrespectueuses dans les établissements de soins de santé sont signalées quotidiennement. Il s’agit notamment de pratiques discriminatoires, d’abus physiques (épisiotomie inutile, césarienne, usage de la force comme la compression abdominale, par exemple) et d’abandon (longs délais pour recevoir des soins). Ces pratiques violent le droit des femmes à des soins respectueux, ainsi que leur droit à la vie, à l’intégrité corporelle et à la non-discrimination. Nous regrettons qu’elles ne soient pas abordées dans le Plan d’Action.

Les enfants

Nous saluons le Plan d’Action concernant la « Child Guarantee » et l’inclusion d’un objectif de lutte contre la pauvreté des enfants, avec un sous-objectif visant à sortir au moins 5 millions d’enfants de la pauvreté dans l’UE d’ici 2030. Nous sommes convaincus que l’accent doit être mis sur « au moins3« . Les EM doivent aller au-delà de ce chiffre compte tenu de l’impact déjà dévastateur du Covid et des conséquences futures pour les familles avec enfants.

La réduction de la pauvreté infantile ne peut être dissociée du soutien aux parents et aux soignants. Nous approuvons le Plan d’Action qui établit des liens forts entre le bien-être des enfants et celui de leurs parents. Cela inclut des mesures relatives à la vie professionnelle et à la vie privée, des investissements dans l’éducation et l’accueil des enfants, la réduction de la pauvreté  plus particulièrement de la pauvreté des enfants et la « Child Guarantee ». Nous saluons les objectifs renouvelés de Barcelone qui seront lancés en 2022 pour garantir que tous les enfants auront un accès égal à l’éducation et à l’accueil pour les jeunes enfants.

En tant que partenaires de l’ « Alliance for Investing in Children4 », nous saluons la révision du Tableau de Bord Social pour suivre plus efficacement la lutte contre la pauvreté des enfants, le nouvel indicateur principal du taux de risque de pauvreté ou d’exclusion pour les enfants (0-17 ans).

Nous appelons à l’inclusion et à la consultation des parents afin de garantir leur participation au processus, car leur rôle est essentiel pour le bien-être de leurs enfants. Parmi eux, les parents isolés méritent une attention particulière car 2/5ème des ménages monoparentaux sont menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale – la plupart d’entre eux sont des mères isolées.

Logement et aide aux sans-abri

Le risque de pauvreté et d’exclusion sociale est particulièrement élevé parmi les groupes les plus vulnérables de la société. Il s’agit notamment des mères (en particulier les mères célibataires), des femmes réfugiées et migrantes et des femmes handicapées. D’autres facteurs de risque intersectionnels tels que le chômage, le manque de services de soins pour les enfants et les responsabilités de soins pour les membres dépendants de la famille rendent les mères et les femmes ayant des responsabilités de soins plus vulnérables aux risques de pauvreté.

Les femmes sont plus exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale que les hommes (22,8 % des femmes contre 20,8 % des hommes en 2018). Le covid19 a aggravé cette situation, touchant tout le monde – mais pas de manière égale. Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par les effets économiques des pandémies mondiales, en particulier celles des communautés les plus pauvres et les plus marginalisées. Les femmes courent un risque accru de se retrouver sans abri et/ou ont plus de difficultés à accéder à un logement. Cela est dû aux loyers élevés du secteur privé qui rendent difficile l’accès à des logements abordables (de plus en plus rares dans de nombreuses villes), à la discrimination et au risque accru d’expulsion. Ce problème a touché les organisations qui contribuent à fournir un toit aux plus vulnérables, comme notre organisation membre Les 3 Pommiers, qui a signalé une détérioration des conditions d’obtention de logements abordables.

En raison de la pandémie, les familles monoparentales sont plus que jamais en danger. De nombreux pays, comme la Belgique et la Finlande, considèrent que la crise actuelle du covid19 frappe durement les mères célibataires et leurs enfants.

L’un des meilleurs moyens d’empêcher les gens d’être entraînés dans la pauvreté est de renforcer la résilience individuelle et sociétale. Des systèmes de protection sociale solides sont les pierres angulaires de cette résilience. Dans ce contexte, des régimes de revenu minimum adéquats, accessibles et favorables ont un rôle essentiel à jouer en tant que filet de sécurité ultime.

Les pays qui combinent des mesures universelles et des mesures politiques ciblant les parents isolés affichent des taux de pauvreté plus faible. MMM appelle donc à des mesures politiques spécifiquement adaptées aux parents isolés. Celles-ci comprennent des allocations familiales (et des avances garanties) et des compléments financiers aux allocations familiales qui sont ciblés sur les parents isolés en situation de pauvreté.

Conclusion

Si quelqu’un n’investissait pas du temps, des efforts et des ressources dans des activités de care quotidiennes non rémunérées, les communautés, les lieux de travail et des économies entières s’arrêteraient5.  Le travail quotidien non rémunéré de care est l’épine dorsale de nos sociétés et de nos économies. Make Mothers Matter applaudit les efforts mis en avant par la Commission Européenne car ils contribueront à réduire, reconnaître et redistribuer ce travail. Avec nos organisations de base, nous continuerons à faire pression pour des politiques plus ambitieuses aux niveaux européen et national, mais ce cadre est un bon début pour les membres nationaux afin de déclencher les réformes politiques nécessaires.

 

[1] Eurobarometer: https://www.europarl.europa.eu/at-your-service/en/be-heard/eurobarometer/parlemeter-2020
[2] United Nations. (2000). CESCR General Comment No. 14: the right to the highest attainable standard of health (Art.12). Adopted at the Twenty-second Session of the Committee on Economic, Social and Cultural Rights, on 11 August 2000. Geneva: Office of the High Commissioner for Human Rights. Retrieved 15 October 2019. Available at: https://www.refworld.org/pdfid/4538838d0.pdf (Last accessed on 9 November 2020)
[3] https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people/jobs-growth-and-investment/european-pillar-social-rights/european-pillar-social-rights-action-plan_en
[4] http://www.alliance4investinginchildren.eu/eu-alliance-for-investing-in-children-statement-to-the-european-pillar-of-social-rights-action-plan/
[5] https://indepth.oxfam.org.uk/time-to-care/

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