« Il fallait que je m’y mette » – des mères s’expriment sur les conséquences cachées du travail, de la famille et de la santé mentale

14.05.15

Dans un article publié par le magazine EuroHealthNet, Angela Garcia, Directrice de Projets au sein de MMM, partage les principaux résultats de notre enquête sur l'Etat de la maternité en Europe 2024. De la surcharge mentale aux sacrifices de carrière, cette enquête révèle une vérité dérangeante : malgré les progrès des politiques d’égalité des sexes, de nombreuses mères se sentent encore invisibles, non soutenues et sous-estimées. Angela propose donc également quelques pistes pour améliorer cette situation: l'adoption d'une économie du bien-être, un modèle qui place l'humain et la planète avant le profit, pourrait-elle faire partie de la solution?

L’article du magazine EuroHealthNet est intégralement reproduit ci-dessous.

« Il fallait que je continue », a déclaré une mère. Une autre a confié : « Personne ne m’a aidée, j’ai dû trouver la force toute seule. » Ces voix ne sont pas isolées. Elles résonnent au-delà des frontières, des tranches d’âge et des revenus, et se font entendre dans une Enquête approfondie de Make Mothers Matter (MMM), qui plonge dans les réalités modernes de la maternité en Europe.
De la surcharge mentale aux sacrifices de carrière, le rapport révèle une vérité dérangeante : malgré les progrès des politiques d’égalité des sexes, de nombreuses mères se sentent encore invisibles, non soutenues et sous-estimées.

Alors, comment aller de l’avant ? Comment valoriser le rôle crucial de la maternité dans la société et apporter le soutien nécessaire au bien-être des mères, et donc des familles ? Une solution pourrait résider dans l’adoption d’une économie du bien-être, un modèle qui place l’humain et la planète avant le profit. Mais d’abord, analysons les véritables difficultés auxquelles sont confrontées les mères d’aujourd’hui.

Le poids de la charge mentale

Plus de 67 % des mères déclarent se sentir mentalement surmenées, et la moitié d’entre elles déclarent souffrir de troubles mentaux tels que l’anxiété, la dépression ou l’épuisement professionnel. L’enquête révèle que les conséquences émotionnelles sont plus importantes chez les mères de 30 à 39 ans, celles qui ont de jeunes enfants et celles qui sont issues de familles à faibles revenus.

Et tandis que la plupart des gens décrivent la parentalité en utilisant des mots tels que « joie » et « amour », les mères mentionnent tout aussi fréquemment « fatigue » et « sacrifice ».

La charge mentale de la maternité varie selon les pays : 81 % des mères portugaises se disent dépassées, contre 46 % en Allemagne. Nombre d’entre elles se sentent seules face à leurs difficultés, et seule la moitié d’entre elles déclarent avoir du temps pour elles. Un nombre important d’entre elles affirment n’avoir reçu aucun soutien, même de la part de professionnels de santé.

Il ne s’agit pas seulement d’un appel à de meilleurs soins de santé mentale pour les mères ; c’est plutôt un appel à un changement culturel.

Retourner au travail, mais à quel prix ?

Après la naissance d’un enfant, le parcours professionnel d’une femme prend souvent un tournant radical. Avant la maternité, 74 % des personnes interrogées travaillaient à temps plein, un chiffre qui chute à 49 % après leur premier enfant, et 15 % quittent définitivement le marché du travail. Pourquoi ? Parce que les environnements de travail actuels continuent d’exiger que les mères reviennent au travail comme si de rien n’était.

Seule une minorité de mères bénéficie d’une réinsertion progressive sur le marché du travail (35 %) ou d’horaires flexibles (46 %). Elles sont encore moins nombreuses (seulement 27 %) à avoir accès au télétravail. Dans des pays comme l’Espagne, l’Italie et la Tchéquie, le manque de flexibilité au travail est un facteur important. Sans surprise, 27 % des mères déclarent que la maternité a eu un impact négatif sur leur carrière, entraînant une baisse de revenus, un blocage de l’avancement et, pour certaines, une discrimination pure et simple.

Face à cette situation, 37 % des mères ont choisi de ne pas agir. Non pas par indifférence, mais probablement par manque de temps, de ressources ou de protection pour réagir. Certaines craignent des représailles, tandis que d’autres ne savent tout simplement pas vers qui se tourner.

Le travail non rémunéré et la persistance silencieuse des inégalités domestiques

La pression ne s’atténue pas à la maison. Malgré des décennies de plaidoyer en faveur du partage des soins, les mères assument encore seules au moins 63 % des tâches ménagères et parentales, et ce chiffre grimpe à 70 % selon la tâche. L’enquête révèle qu’un père sur quatre ne prend aucun congé de paternité, alors qu’il y a droit, souvent en raison de contraintes financières ou des attentes de son entreprise.

Et cela ne concerne pas seulement la parentalité. 25 % des mères vivent avec quelqu’un, enfant ou adulte, dont elles fournissent des soins supplémentaires. Ce travail non rémunéré est permanent.

Ce déséquilibre renforce un cercle vicieux : les mères adaptent leur vie professionnelle pour s’adapter à la prise en charge de leurs enfants, ce qui affecte leurs revenus et la sécurité de leur retraite. Parallèlement, leurs contributions, essentielles à la santé des familles et de l’économie, sont largement méconnues.

Une économie du bien-être : plus qu’un mot à la mode

Alors, qu’est-ce qu’une économie du bien-être et comment pourrait-elle aider ?

L’économie du bien-être est un modèle qui privilégie les infrastructures sociales telles que la santé, l’éducation et les services de soins plutôt que la croissance traditionnelle du PIB. Elle valorise le temps, les relations et la santé mentale, et considère les soins non rémunérés non pas comme un fardeau à minimiser, mais comme le fondement de la société.

Pour les mères, une évolution vers ce nouveau type d’économie pourrait signifier :

  • Des services de santé mentale plus solides, axés sur la communauté et adaptés à la culture.
  • Des réformes du lieu de travail qui vont au-delà du droit à demander de la flexibilité
  • Des congés parentaux prolongés et rémunérés — pour tous
  • La reconnaissance du travail de soins non rémunéré dans les régimes de retraite et les évaluations de carrière.
  • Des services de garde d’enfants abordables et accessibles qui offrent un réel choix et une réelle flexibilité.

Le rapport propose une feuille de route riche en recommandations concrètes pour les décideurs politiques, les employeurs et les collectivités de l’UE. Des « crédits d’impôt pour soins » compensant le temps d’absence du marché du travail, au soutien à l’allaitement maternel en entreprise, les propositions sont aussi concrètes qu’urgentes.

En fin de compte, une économie du bien-être qui privilégie les soins, l’égalité et un soutien complet pourrait constituer le changement transformateur dont nous avons besoin. En reconnaissant l’interdépendance du travail, de la santé et de la vie de famille, nous pouvons créer un avenir où la santé mentale maternelle ne sera pas une question marginale, mais une priorité centrale pour tous.

Il est temps que le village se montre

Le proverbe dit : « Il faut tout un village pour élever un enfant. » Mais pendant trop longtemps, le village s’est trop appuyé sur les mères, attendant d’elles qu’elles fassent tout, souvent en silence.

Le rapport « État de la maternité en Europe 2024 » de MMM ne se contente pas de partager des statistiques, il amplifie les expériences vécues et nous invite à repenser nos valeurs. Si nous voulons véritablement un avenir où les familles s’épanouissent, où la santé mentale est protégée et où l’égalité des sexes est plus qu’un slogan, alors le travail de soins doit être considéré comme essentiel.

Comment y parvenir ? Plusieurs axes d’action peuvent être envisagés :

  • Santé mentale périnatale: La maternité nécessite un soutien bien plus fort à travers l’Europe. Cela implique d’investir dans des soins de proximité holistiques, intégrés aux services dont dépendent déjà les parents et les futurs parents, des médecins généralistes et sages-femmes aux travailleurs sociaux, et pas seulement aux cliniques spécialisées. Des services de garde d’enfants abordables et de qualité doivent être reconnus comme fondamentaux pour le bien-être, et une meilleure collecte de données est essentielle pour comprendre pleinement les expériences pendant et après la grossesse.
  • Les décideurs politiques de l’UE doivent montrer la voie en défendant des lieux de travail favorables à la famille, des modalités de travail flexibles et des retours de congé parental plus fluides et plus solidaires. Appliquer pleinement la Directive sur la transparence des rémunérations et étendre laDirective sur l’équilibre entre les sexes dans les conseils d’administration des entreprises Inclure davantage d’employeurs pourrait favoriser les progrès en matière d’égalité des sexes.
  • Soutien spécialisé à l’allaitement doivent être élargis pour offrir non seulement un accompagnement pratique, mais aussi un soutien émotionnel. Le secteur privé a également un rôle à jouer. En Espagne, Certificat Empresa Familiarmente Responsable, promu par la Fondation Más Familia, membre de MMM, récompense les employeurs qui favorisent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, l’inclusion et la responsabilité sociale, notamment lorsqu’il s’agit de soutenir les besoins familiaux des employés. Le Label « Entreprise familiale (FFC) »propose un modèle similaire, montrant que donner la priorité au bien-être au travail n’est pas seulement possible, mais de plus en plus attendu.
  • Pour aider les employeurs à mettre ces politiques en pratique, des programmes de l’UE tels que son Fonds pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI) et le Programme Citoyens, Égalité, Droits et Valeurs (CERV) peuvent offrir un soutien financier pour les congés familiaux, le travail flexible et les initiatives en matière d’égalité. L’Initiative EU4Gender pour l’égalité travaille également avec le secteur privé pour créer des lieux de travail plus inclusifs, plus favorables à la famille et plus équitables entre les sexes.
  • Outils de dépistage et lignes directrices cliniques : Il faut refléter la diversité des femmes qui accouchent, en accordant une attention particulière à celles qui sont confrontées à des difficultés liées à l’origine ethnique, à la migration, à la pauvreté, au handicap et à l’orientation sexuelle. Mais surtout, cela commence par écouter toutes les mères et assurer une représentation de toutes les communautés, non seulement une fois par an dans le cadre d’une enquête, mais dans chaque décision politique, chaque conseil d’administration et chaque foyer.

En fin de compte, une économie du bien-être qui privilégie les soins, l’égalité et un soutien complet pourrait constituer le changement transformateur dont nous avons besoin. En reconnaissant l’interdépendance du travail, de la santé et de la vie de famille, nous pouvons créer un avenir où la santé mentale maternelle ne sera pas une question marginale, mais une priorité centrale pour tous.

 

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