09.05.22
ONU New York, FHNP - Parmi les Objectifs de Développement Durable, la cible 5.4 appelle à la reconnaissance, la réduction et la redistribution de travail de soins familiaux non rémunérés que constituent les tâches domestiques et de soins effectués quotidiennement dans les foyers, et assumés principalement par les mères. Il s'agit d'un objectif négligé, aussi, il est au coeur de notre déclaration écrite de 2022 , qui sera adressée aux 193 Etats Membres qui se réuniront en Juillet pour évaluer la mise en pratique des ODD.
Le texte suivant est le texte intégral de notre déclaration – une version avec les sources et les références peut être téléchargée ci-dessous.
Dans cette déclaration, Make Mothers Matter se concentre sur la cible 5.4 de l’objectif de développement durable sur l’égalité des sexes (ODD 5), un des objectifs qui sera examiné cette année :
‘Reconnaître et valoriser les soins non rémunérés et le travail domestique par la fourniture de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale et la promotion du partage des responsabilités au sein du ménage et de la famille, selon les besoins nationaux’.
Nous appelons à une plus grande attention à cet objectif spécifique, non seulement parce qu’il est essentiel à l’amélioration de l’égalité entre les sexes, mais aussi parce qu’il touche aussi de nombreux autres ODD. Aussi, l’ODD 5.4 constitue un élément clé pour la réalisation de l’ensemble du programme de développement 2030. Les soins non rémunérés et particulièrement cet indicatuer doivent être placés au centre des changements systémiques nécessaires au « Building Back Better »-ou plutôt ‘build forward transformatively’ (aller de l’avant en changeant)
La crise du Covid-19 nous a montré ce qui compte vraiment. Elle a mis en lumière le rôle essentiel et l’importance du travail de soin, qu’il soit rémunéré ou non.
Cette crise a donné de la visibilité et un début de reconnaissance à ce travail fondamental mais sous-évalué et le plus souvent invisible – et aux personnes qui le dispensent : les travailleurs du secteur des soins, dont la plupart sont des femmes et des mères, qui doivent jongler entre un nombre croissant de tâches familiales non rémunérées, l’enseignement à domicile et un travail rémunéré.
Cible 5.4 – Une cible négligée ?
Avec la cible 5.4, la reconnaissance du travail de soins non rémunéré est pleinement intégrée à l’Agenda 2030 en faveur d’un développement durable, adopté en 2015.
Il s’agissait alors d’une étape importante, car cet objectif reconnaît que la répartition inéquitable du travail de soins non rémunéré (l’écart entre les sexes en matière de soins) est une cause d’injustice économique, de difficultés pour les femmes, et constitue un obstacle majeur à l’égalité des sexes. Le travail de soins non rémunéré reste une entrave lourde pour de nombreuses femmes qui souhaitent accéder au marché du travail, faire carrière et gagner un salaire décent.
Les mères, notamment, ont été poussées à rejoindre la main-d’œuvre « productive ». Pourtant elles restent responsables de la majeure partie des activités de soins : plus des trois quarts de l’ensemble du travail non rémunéré de soins familiaux sont effectués par des femmes. Ainsi, lorsque travail rémunéré et travail non rémunéré sont combinés, les femmes travaillent plus que les hommes. De plus, sur le plan économique, elles sont fortement pénalisées, surtout lorsqu’elles ont des enfants, et subissent une discrimination spécifique liée à la maternité – la « pénalité de la maternité ».
Ensuite, la cible 5.4 reconnaît également l’importance des services publics, des infrastructures et des politiques de protection sociale pour résoudre le problème – en particulier pour réduire le temps que les femmes consacrent aux travaux domestiques et aux soins non rémunérés. Souvent, ce travail compense le manque de services et d’infrastructures essentiels tels que l’accès à l’eau et l’assainissement, l’électricité, l’énergie, les télécommunications, les transports, la santé, etc.
Pourtant, cette cible en particulier, n’a reçu ni l’intérêt, ni l’attention qu’elle mérite.
La cible 5.4 est liée à un seul indicateur, 5.4.1 – Proportion du temps consacré aux travaux domestiques et aux soins non rémunérés, par sexe, âge et lieu, qui figure également dans l’ensemble minimal global d’indicateurs de genre. Le problème est que ces données ne peuvent être obtenues qu’en réalisant des enquêtes sur l’utilisation du temps (EUT), qui sont complexes et coûteuses.
Selon un rapport de l’OIT de 2018, seuls 72 pays ont mené de telles enquêtes au moins une fois, et seuls 27 d’entre eux l’ont fait au moins deux fois. Très peu de pays réalisent des EUT de façon régulière. Pourtant cela serait nécessaire pour suivre les évolutions en matière de réduction et de redistribution du travail domestique et de soins non rémunéré : les États-Unis sont le seul pays à le faire sur une base annuelle depuis 2003 ; la Suisse réalise des EUT tous les trois ou quatre ans depuis 1997, et la Norvège tous les dix ans depuis 1970.
En conséquence, la cible 5.4 est généralement exclue des rapports sur les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable et de leurs annexes statistiques, et elle reste largement exclue de l’actualité.
La triste réalité est aussi qu’il n’y a pas ou très peu de progrès dans la réduction du temps que les femmes consacrent aux tâches domestiques et aux soins non rémunérés ainsi que dans leur redistribution entre hommes et femmes : selon l’OIT, la part des femmes dans le travail de soins non rémunéré n’a diminué que de 0,2 % en 15 ans (entre 1997 et 2012).
ll est également important de reconnaître et de traiter les faiblesses et les limites de cet objectif tel qu’il est formulé :
– Il ne reconnaît pas que le travail de soins non rémunéré EST un travail, un travail précieux, qui est essentiel pour former la prochaine génération de citoyens et de travailleurs, et qui soutient notre économie.
– Elle ne tient pas compte de l‘énorme contribution du travail non rémunéré à nos économies – par exemple, dans un pays comme la Suisse, le travail non rémunéré représente plus de la moitié du total des heures travaillées dans le pays.
– Elle ne présente pas les dépenses en matière de protection sociale, de services publics et d’infrastructures qui soutiennent le travail non rémunéré des soignants comme des investissements qui auront un rendement élevé à long terme – l’austérité n’est pas une option.
– Elle ne reconnaît pas explicitement l’importance d’un partage plus équitable de ce travail entre les hommes et les femmes au sein du ménage/de la famille.
– Elle ne reconnaît pas le travail cognitif et émotionnel – et la charge mentale qui en résulte – qui accompagne généralement le travail de soins et peut affecter la santé mentale.
– Elle n’envisage pas le travail de soins non rémunéré comme une expérience d’apprentissage qui permet aux parents et aux autres soignants d’acquérir des compétences générales précieuses contribuant à l’inclusion sociale, au développement personnel, à l’autonomisation et à l’employabilité.
– Elle ne reconnaît pas les liens entre l’écart entre les sexes en matière de soins, le manque d’infrastructures adéquates et de services de soins de qualité abordables, et la pauvreté qui touche de nombreuses femmes, en particulier les mères.
– Elle n’indique pas clairement que le travail de soins non rémunéré devrait être une responsabilité collective, c’est-à-dire que d’autres parties prenantes que les ménages/familles devraient également assumer leur part de responsabilité pour soutenir ce travail, à commencer par les gouvernements à tous les niveaux, mais aussi les employeurs des secteurs public et privé.
Malgré les faiblesses de l’objectif 5.4 et de son indicateur unique, il faut de souligner la pertinence et la valeur des données sous-jacentes sur l’emploi du temps : elles vont bien au-delà de l’égalité entre les hommes et les femmes et de l’ODD 5, notamment par liens que la question du travail de soins non rémunéré entretient avec les autres ODD.
Comme l’indique un rapport essentiel de la Commission statistique des Nations unies pour 2020, les données sur l’emploi du temps peuvent informer et orienter les politiques dans un large éventail de secteurs, couvrant un grand nombre, voire la totalité, des ODD :
– Analyser les liens entre la pauvreté monétaire et la pauvreté en temps, comment la pauvreté en temps est distribuée, et comment, dans un cercle vicieux, la pauvreté économique renforce la pauvreté en temps (ODD 1).
– Identifier et soutenir les services de soins de santé fournis gratuitement par les ménages, généralement par les femmes, et comprendre l’engagement dans des activités qui peuvent affecter la santé, comme manger, boire, dormir et faire du sport (ODD 3).
– S’attaquer au problème de l’abandon de l’école par les filles parce qu’on a besoin d’elles pour les travaux domestiques (ODD 4).
– Montrer et soutenir la participation des parents à l’éducation formelle de leurs enfants, par exemple en surveillant les devoirs, en participant aux activités scolaires, etc.
– Planifier la mise en place de services de qualité en matière de soins et d’éducation de la petite enfance, qui non seulement préparent les enfants à l’enseignement primaire (ODD 4) – mais aussi libèrent du temps pour que les mères et les autres personnes qui s’occupent des enfants puissent exercer un travail rémunéré, participer à la vie publique et s’engager en politique (ODD 5 et 8)
– Comprendre les liens entre le travail rémunéré et non rémunéré et favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, en particulier pour les parents, ce qui aurait pour effet d’accroître la participation des femmes à la vie active ou aux activités génératrices de revenus (ODD 8).
– Développer les infrastructures et services publics tels que l’eau potable et l’assainissement, l’électricité et l’énergie, les télécommunications ou les transports, afin de réduire le travail non rémunéré et le temps nécessaire pour pallier l’absence de ces infrastructures et services, qui affecte les femmes de manière disproportionnée (ODD 6, 7, 9 et 11).
– Comprendre et traiter l’impact disproportionné du changement climatique sur les femmes – en particulier l’augmentation du travail non rémunéré (ODD 13).
Pour continuer à progresser dans le programme de développement 2030, il est donc crucial de comprendre les liens entre la cible 5.4 et les autres ODD, et de donner plus de visibilité et d’importance à cette cible, à son indicateur et à l’outil statistique qui la sous-tend.
Comme indiqué précédemment, la crise du Covid-19 a braqué les projecteurs sur le Care et sur la place centrale qu’il occupe dans nos vies et notre bien-être, une étape importante vers la reconnaissance.
La notion de soins peut également être étendue à l’environnement : le Conseil des droits de l’homme a récemment reconnu le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable, ce qui est également important pour notre bien-être. Il faut prendre soin de notre environnement, de nos « biens communs ».
La crise offre aujourd’hui une occasion unique d’opérer un changement systémique, de « construire l’avenir de manière transformatrice » : il est temps de s’éloigner d’une vision étroite et à court terme de la croissance du PIB et de la réalisation de bénéfices, et de réorienter notre économie vers une économie solidaire, centrée sur l’être humain et servant le bien-être des personnes et de notre planète – une économie qui reconnaît, valorise et soutient le travail non rémunéré de la solidarité – une économie qui soutient la réalisation de l’agenda 2030.
En 2021, un rapport conjoint du Bureau européen de l’environnement et d’Oxfam Allemagne est clair : « L’économie est bien plus que ce qui peut être acheté et vendu dans les magasins : […] il s’agit également du travail de soin vital effectué au sein des ménages, de la gestion conjointe des ressources communes telles que les lacs et les forêts, de l’accès à des écoles et à des hôpitaux bien gérés, fournis par l’État ou par les communautés. Il s’agit d’avoir un toit au-dessus de sa tête, de manger suffisamment de nourriture saine, d’être en sécurité et d’être pris en charge lorsque l’on a besoin d’aide. Les soins et la communauté font partie de tout cela. »
Un certain nombre de pays et de villes nous montrent la voie. Les gouvernements de Finlande, d’Islande, de Nouvelle-Zélande, d’Écosse et du Pays de Galles se sont engagés à passer à des « économies du bien-être ». Des villes comme Amsterdam, Berlin, Bruxelles et Sydney ont adopté le modèle de la wellbeing economy, qui offre un cadre utile pour construire une base sociale solide, tout en veillant à ce que les activités économiques soient durables et respectent les limites environnementales.
Dans le contexte actuel des multiples crises auxquelles nous sommes confrontés, il est absolument urgent et essentiel qu’à tous les niveaux, nous nous efforcions de changer la forme de notre économie, qui a été exploitante et destructrice. Que nous l’appelions économie du bien-être, économie de l’entraide ou économie du Donut , il est grand temps que nous donnions la priorité à l’entraide et au bien-être, qui sont les besoins essentiels des personnes et de notre planète, et cela commence par la revisite de la cible 5.4.
Déclaration entière avec la bibliographie, à télécharger
Cette déclaration écrite a été soumise en amont du Forum de Haut Niveau Politique (FHNP) 2022 qui se tiendra du 5 Au 15 Juillet, à New York. Le FHNP est la plateforme principale des Nations Unies sur le développement durable et joue un rôle central dans l’examen et le suivi de la mise en oeuvre des Objectifs de Développement Durable (ODDs) au niveau mondial.
En 2022, le thème principal du forum sera « Mieux reconstruire après la crise du COVID-19 tout en faisant progresser la mise en œuvre intégrale de l’Agenda 2030 pour le développement durable » ; les ODD examinés cette année comprennent l’ODD4 (éducation), l’ODD5 (égalité des sexes), l’ODD14 (vie sous l’eau), l’ODD15 (vie sur terre) et l’ODD17 (partenariats).
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