Le travail familial non rémunéré: essentiel mais invisible et non reconnu

« L’autonomisation économique des femmes est une illusion
si l’on ignore le travail non rémunéré 
dans les foyers »
MMM Sepúlveda, rapporteur spécial des Nations Unies
sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme

Le travail familial non rémunéré (le « care ») répond aux besoins de soins matériels, éducatifs et émotionnels des personnes au sein de la famille, principalement des enfants, mais aussi des personnes handicapées, malades ou âgées. Il inclut les tâches domestiques (cuisine, ménage…), mais également l’éducation des enfants et tous les soins prodigués à des proches.

Un obstacle majeur à l’émancipation des femmes et à l’égalité

Source: ONU Femmes 2016 – Si le travail familial non rémunéré est pris en compte, les femmes travaillent davantage que les hommes, dans les pays du Nord comme du Sud

Ce travail, essentiel au bien-être des individus, des communautés, et de la société, est majoritairement effectué par les femmes, plus particulièrement les mères. Globalement, elles y consacrent en moyenne 2 fois et demi plus de temps que les hommes, et jusqu’à 10 fois plus dans des pays comme l’Inde ou le Maroc.

Egalement Indispensable au bon fonctionnement de l’économie, ce travail est statistiquement invisible. Sa valeur, pourtant estimée de 10 à 39 % du PIB selon les pays, en fait un véritable secteur économique qui est ignoré des politiques.

Photo AJAD – Cote d’Ivoire

Dans les pays en développement, la question du temps passé au travail familial non rémunéré est amplifiée : les femmes doivent souvent compenser par leur travail un manque d’infrastructures et de services publics (en particulier l’accès à l’énergie, l’eau et l’assainissement, mais également les services de santé, de transports, de télécommunications, etc.). Dans ces conditions, beaucoup n’ont pas assez de temps pour se consacrer à des activités génératrices de revenus. Les mères sont donc particulièrement vulnérables face à la pauvreté.

Le manque de temps est également une préoccupation importante pour les mères des pays développés. C’est ce qu’a montré l’enquête « Ce que les mères d’Europe veulent » réalisée en 2011 par MMM : les mères y ont exprimé leur manque de temps à consacrer à leur famille, leur besoin de reconnaissance, et leur désir d’avoir de vrais choix pour concilier leur rôle de mère avec un parcours professionnel.

Source: Rapport OIT « Care work and care jobs for the future of decent work » – Juin 2018

La répartition inégale du travail familial non rémunéré est un obstacle majeur à la participation effective des mères dans la vie économique et politique. Alors que toujours plus de mères ont une activité professionnelle, elles sont obligées de jongler avec leurs responsabilités éducatives et domestiques. Ce déséquilibre devient ainsi un problème de santé publique. Les pères doivent être encouragés à assumer leur part de responsabilité par des mesures appropriées.

De plus, parce qu’il est considéré comme économiquement non productif, ce travail de « care » reste dévalorisé, même quand il est professionnel : tous les métiers des domaines du soin à la personne et de l’éducation, majoritairement assurés par des femmes, sont mal rémunérés.

Manquant de temps pour participer pleinement à la vie économique, les mères restent souvent enfermées dans des positions subalternes ou dépendantes ; elle peinent à s’assurer un minimum d’indépendance financière et souffrent de façon disproportionnée de la pauvreté – notamment lorsqu’elles doivent élever seules leurs enfants.

La répartition inéquitable du travail familial non rémunéré : un sujet qui gagne en visibilité

Depuis longtemps identifiée par MMM et les associations militant en faveur des droits des femmes, cette problématique du travail familial non rémunéré est jusqu’en 2013 restée dans l’ombre. Le rapport que Magdalena Sepulveda, alors rapporteur spécial de l’ONU sur la pauvreté, a présenté en octobre 2013 devant l’Assemblée générale des Nations Unies a enfin déclenché une prise de conscience. Il établit le lien entre la vulnérabilité des femmes à la pauvreté et la répartition inéquitable du travail familial non rémunéré – non seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les femmes de différentes classes sociales et économiques. Le rapport identifie également clairement le travail familial non rémunéré comme un obstacle majeur à l’autonomisation économique des femmes et à l’égalité des genres.

Grâce au travail de plaidoyer d’organisations comme MMM, l’importance de cette problématique a été reconnue par les Etats membres de l’ONU lors de l’adoption en 2015 de l’agenda 2030 et des Objectifs de Développement Durable (ODD) : une cible lui est dédiée dans l’ODD 5 consacré à l’égalité hommes femmes.


Cible 5.4 de l’agenda 2030 « Prendre en compte et valoriser les soins et travaux domestiques non rémunérés, par la mise en place de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale et par la promotion du partage des responsabilités dans le ménage et la famille, en fonction du contexte national. »

Comment y remédier ? Reconnaître, Réduire et Redistribuer le travail familial non rémunéré : les recommandations de MMM

Reconnaître – Toutes les mères travaillent !

→ Rendre le travail familial non rémunéré visible auprès des politiques et de l’opinion publique. Faire des enquêtes régulières sur l’utilisation du temps, et l’inclure dans le PIB dans les statistiques du travail.

→ Donner aux mères un statut et des droits : protection sociale, formation, crédits dans le calcul des pensions de retraite, une voix dans la société.

→ Sensibiliser à la valeur de ce travail essentiel à la société et à l’économie. Il contribue au développement de la petite enfance et à l’éducation : les enfants d’aujourd’hui seront les citoyens et la force de travail de demain.

Réduire – Grâce à des infrastructures et des services publics ciblés

→ Investir dans des infrastructures et des services publics qui soient géographiquement et financièrement accessibles (eau, assainissement, électricité et autres types d’énergie, transport publics, services de santé, technologies de l’information et de la communication etc.).

→ Prioriser les régions les plus reculées avec l’objectif affiché de réduire la pauvreté en temps des femmes et leur charge de travail domestique non rémunéré.

Redistribuer – Entre les hommes et les femmes / entre les familles et tous les acteurs de la société

→ Soutenir l’engagement des pères et promouvoir une meilleure répartition des responsabilités domestiques et parentales :

  • Impliquer les pères dès le début : mettre en place des congés de visites prénatales pour les pères, un congé paternité, un congé parental partagé, etc.
  • Combattre les stéréotypes sur la répartition des rôles hommes / femmes au sein des foyers par des campagnes de sensibilisation, y compris auprès des mères elles-mêmes
  • Lutter contre la ségrégation professionnelle et la dévalorisation des métiers dans les domaines du soin à la personne et de l’éducation en encourageant les hommes à s’engager dans ces professions.

→ Placer le soin aux personnes (le « care ») au centre des priorités. Appliquer des politiques transversales cohérentes impliquant travail, éducation, santé, affaires sociales et familiales, fiscalité et condition de la femme – y compris des politiques de conciliation vie familiale/ vie professionnelle ciblant les hommes comme les femmes (voir le travail de la délégation Europe dans ce domaine).

Ces recommandations sont au cœur des actions de plaidoyer de MMM, qui continue à collecter des exemples de politiques et « bonnes pratiques » autour des « 3R ».

 

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