Ne me parlez pas de ma mère !

13.02.20

Une tribune de Roland Vaxelaire, Administrateur de MMM, publiée dans la Libre Belgique.

Garde des enfants, cuisine, lessive, collecte de l’eau, du bois de chauffage… : ce travail de « soin », ignoré et non rémunéré, représente une contribution considérable à l’économie. Il est temps de le reconnaître.

Roland Vaxelaire, membre du Conseil d’Administration de Make Mothers Matter

À la lecture de l’étude d’Oxfam sur les inégalités intitulée à juste titre « Celles qui comptent » publiée à l’ouverture des rencontres de Davos, je m’interroge. Pourquoi faut-il attendre la page 37 pour que soit utilisé le mot « mère » ? Les inégalités exprimées dans cette étude ne font-elles pas bien référence au travail de soin (care) effectué en majorité par des femmes qui sont mères, même si ce travail ne leur est exclusivement réservé, ni aux femmes en général d’ailleurs ?

Quand le rapport évoque le travail non rémunéré assuré par les femmes, il s’agit bien de la garde des enfants, des tâches domestiques comme la cuisine, lessive, et pour certains pays la collecte de l’eau et du bois de chauffage… des tâches effectuées majoritairement par les mères. Alors pourquoi ne pas le dire clairement ? En ne nommant pas clairement la situation de celles qui prennent majoritairement en charge ce travail, ne risque-t-on pas d’évacuer/d’abstraciser/de diluer/de gommer cette problématique ?

10 800 milliards de dollars

Car oui, il y a ici un énorme paradoxe. Ce travail, le plus souvent ignoré et non rémunéré, représente une contribution considérable à l’économie : l’étude mentionne une estimation (via un salaire multiplié par le nombre d’heures) pour le travail non ou mal rémunéré d’au moins 10 800 milliards de dollars chaque année, soit trois fois la valeur du secteur des technologies… et ceci ne tient compte ni de la valeur du travail de soin pour la société ni du soutien qu’il représente pour l’économie : sans lui, l’économie serait paralysée.

Le lien à la pauvreté et aux inégalités est bien opportun car, comme le mentionne à juste titre l’étude, le taux d’extrême pauvreté des femmes est de 4 % mais s’accroît pour atteindre 22 % quand elles sont en période procréative et productive de leur vie. C’est-à-dire que la maternité accentue l’inégalité. Cette injustice existe partout, car, là où les hommes, notamment les mieux rémunérés, reçoivent une prime lorsqu’ils deviennent pères, les mères sont souvent sanctionnées sur leur salaire.

Inégalité et pauvreté

Dans notre monde, 42 % des femmes en âge de travailler n’occupent pas un emploi rémunéré du fait de leurs charges de travail de soin non rémunéré (contre 6 % pour les hommes). Cela accentue encore l’inégalité et renforce le risque de pauvreté !

Les données factuelles montrent que dans les pays où l’État propose une aide à la garde d’enfants 30 % des « mères » (osons utiliser le mot !) occupent un emploi salarié, contre seulement 12 % dans les pays n’appliquant aucune politique de ce genre.

Dans les communautés rurales et dans les pays à bas revenu, les femmes (principalement les mères) consacrent jusqu’à 14 heures par jour au travail de soin soit cinq fois plus que les hommes ! Ce travail de « care » non rémunéré décharge alors les gouvernements et les entreprises de leurs obligations.

Effets positifs attendus

A contrario, l’on mesure bien les effets positifs d’un travail de soin mieux réparti au sein de la société. Des enfants inscrits à des programmes préscolaires (pour les 3-6 ans) sont mieux socialisés, obtiennent de meilleurs résultats à l’école primaire, risquent moins de redoubler, de quitter l’école ou d’avoir besoin d’un enseignement correctif ou spécial. Cela accroît l’efficacité des systèmes éducatifs, sans parler des emplois rémunérés générés et du temps libéré pour les filles et les femmes, leur permettant d’exercer une activité génératrice de revenus.

En conclusion, le poids excessif du travail de soin non rémunéré éloigne les femmes et principalement les mères de l’éducation, d’une place légitime dans leur famille, dans la société ainsi que des postes décisionnaires. Pour beaucoup d’entre elles, c’est de la pauvreté de fait et la pauvreté en temps. La nécessité de remplir ces tâches essentielles les cantonne dans des emplois à temps partiel ou dans le secteur informel afin de concilier les deux. Cela réduit leur capacité à contribuer au système de protection sociale, aggrave leur situation de pauvreté et les rend plus vulnérables quand elles sont plus âgées.

La règle des 5 R

Le rapport d’Oxfam apporte quelques suggestions et recommandations pertinentes. Il serait temps que nos politiques les suivent. Rappelons la règle des 5 R.

  • Reconnaître que ce travail de soin non rémunéré apporte de la valeur à la société.
  • Réduire ce temps en donnant l’accès à des infrastructures et à des services publics accessibles.
  • Représenter ces femmes pour que leurs voix soient entendues dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, des services et des systèmes qui affectent leur vie.
  • Récompenser ce travail par des salaires ou allocations dignes de ce nom et surtout du travail fourni.
  • Répartir le travail de « care » plus équitablement entre les pères et les mères, mais aussi vis-à-vis des gouvernements et des pouvoirs publics.

Les congés parentaux payés et les services de garde d’enfants peuvent réduire la vulnérabilité des femmes à la pénibilité due au cumul du travail salarié et du travail de soin non rémunéré lié à la maternité. Promouvoir une responsabilité partagée du travail de soin entre les hommes et les femmes permettra un meilleur équilibre social. L’allongement de la durée de congé de paternité s’accompagne d’une participation accrue des hommes au travail de soin et d’une évolution des normes et des attitudes. En 2016, seuls 77 pays sur 184 répondaient à l’OIT dans ce domaine avec au moins 14 semaines de congé de maternité et seuls 32 pays proposaient des congés de paternité de 2 semaines au plus.

Défendre les femmes est plus que jamais d’actualité mais reconnaître et représenter les mères qui assument majoritairement dans le monde entier ce travail essentiel et non reconnu du « care » est primordial dans l’époque que nous vivons.

 

Cet tribune a été publiée dans le quotidien La Libre Belgique le 12 février 2020, dans la version papier et en-ligne.

Make Mothers Matter remercie Oxfam pour son rapport Celles qui comptent qui révèle admirablement ce que nous défendons depuis 70 ans en travaillant à la Représentation et à la Reconnaissance des mères. 

Source: Celles qui comptent, Rapport Oxfam 2020

 

 

Articles les plus lus

Partager c’est prendre soin:
égalité parentale, une voie vers la cohésion sociale?

27.01.25

ONU New York, Commission des Nations Unies pour le Développement Social – Inscrivez-vous dès maintenant à notre événement parallèle virtuel pour une discussion sur la façon dont un partage pl

Lire plus

Les mères et la paix sous les projecteurs

24.09.24

France - Retour sur notre dîner de haut niveau qui s'est tenu à l'hôtel de ville de Versailles, près de Paris.

Lire plus

L’éducation des filles en Côte d’Ivoire : pierre angulaire du développement et de l’autonomisation des mères

15.11.24

Make Mothers Matter (MMM) s’est rendu en Côte d’Ivoire à l’occasion de la Journée internationale de la Fille le 14 octobre 2024. Notre représentante auprès de l’UNESCO, Brigitte Marais, a

Lire plus
Voir tous les articlesde la catégorie

L’actualité de MMM et de son réseau

Renforcer le pouvoir des mères, étendre leurs droits: MMM au CDH59

14.07.25

ONU Genève - Le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies est un rassemblement de plaidoyer essentiel pour les engagements des états membres sur les questions fondamentales des droits de l'Homme relativ

Lire plus

Solidarité intergénérationnelle pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle, vie privée et responsabilités familiales

13.07.25

MMM a été invité à intervenir lors de la conférence annuelle d’AGE, consacrée à la contribution à la Stratégie de l’UE pour l’Equité Intergénérationnelle. L’événement a abordé plusieurs d

Lire plus

Lettre conjointe aux dirigeants de l’UE : MMM et ses partenaires plaident pour un investissement stratégique dans les enfants et les familles

09.07.25

Make Mothers Matter, aux côtés de 24 organisations membres de l’Alliance pour l’investissement dans les enfants, a adressé une lettre conjointe à Ursula von der Leyen (présidente de la Commission europ

Lire plus

Les soins non rémunérés au cœur du système : Un catalyseur pour la réalisation des ODDs

06.07.25

ONU New York / FHNP - Inscrivez-vous dès maintenant pour participer en ligne à l'événement parallèle du Forum politique de haut niveau.

Lire plus

Financement du développement: il est temps d’investir dans le Care et le bien-être

06.07.25

Du 30 Juin au 3 Juillet, Make Mothers Matter était en Espagne à Séville, pour la 4ème conférence internationale des Nations Unies sur le Financement du développement (FfD4). Retour sur cet événement maj

Lire plus

Le financement du développement compte pour les mères

05.07.25

Suite à la quatrième conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) qui s'est tenue en Espagne, à Séville, nous examinons les raisons pour lesquelles le financement du développement

Lire plus